Loi française de 1901, loi belge de 1921, quels enjeux pour les libertés associatives ?

Séminaire Villarceaux - plénière du vend 15 avril 2022
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Carte blanche au Collectif 21 venu de Belgique et à L.A. Coalition

A lire ci-dessous les interventions de Geoffroy Carly, Laure Paradis et Jean-Baptiste Jobard

Intervention de Geoffrey Carly du Collectif21

Accéder ICI à la vidéo brute de l'intervention de Geoffroy

Le Collectif 21 a été créé courant 2019 en Belgique dans la perspective du centenaire de la loi 1921 (équivalent de notre loi 1901).
Il se créé alors que le gouvernement fédéral de Belgique travaille avec un gros cabinet d'avocat pour regrouper toutes structures (entreprises et associations) dans le même code (des sociétés & des asso).

Les associations avaient déjà un numéro d'entreprise mais elles restaient distinctes des entreprises par la loi. Cette fois on coule tout dans un même code des sociétés et associations c’est à dire qu’on veut soumettre les associations aux mêmes règles que les entreprises (le code a d’ailleurs failli s'appeler juste "code des sociétés" !!).
  • Les optimistes disent que ce n'est pas plus mal car cela permet l’accès au dispositif de sauvetage prévu pour les entreprises.
  • Les pessimistes, dont je fais partie, pensent à l’inverse qu'on change de paradigme complètement en ôtant une frontière entre associations et entreprises.
Il s’en est failli d’un cheveu pour que cela deviennent simplement le code des sociétés et qu'on enlève le mot associations. A l'oral, les responsables politiques omettent souvent le terme associations. Je me fais toujours un malin plaisir de leur demander s’il oublie à dessein le mot d’association et leur rappelle qu’il s’agit du code des sociétés et associations.
Cette transformation a eu lieu sans aucun débat. Nous profitons donc de l'anniversaire de 1921 pour remettre le débat à l'ordre du jour mais c'est un anniversaire en forme d'enterrement. Nous avons été quelques uns à créer le Collectif 21 qui n’était au départ pas structuré en association [qui réunissait des personnes venues des assos d'éducation permanente (équivalent de l’éducation populaire en France), de jeunesse, social...], on reste collectif, on mobilise autour de nous, notre critère pour entrer dans le collectif : être sympa.

Depuis 2019, on s'est donné comme mode de fonctionnement trois trois types d’action : réunir des personnes pour réfléchir sur le fait associatif, des psy, des économistes, des personnes du travail social... Nous avons du délimiter un périmètre sur ce que c'était une association, une ASBL (association belge) parce qu'en Belgique c'est perçu comme un véhicule administratif. Des entreprises passent par ce statut pour tester leur entreprise avant de voir si elles marchent. Des structures para-publiques passent aussi par ce statut et de nombreux scandales liés à ces structures décrédibilisent l’ensemble des associations.

Les grosses structures type ONG ont pu négocier avant cette transformation mais pas les petites associations. Ce passage dans le code des sociétés ne change rien et fondamentalement change tout. Quand une banque s'adresse à moi, elle me parle de ma société pour ouvrir un compte en banque, me pose les mêmes questions qu’à une entreprise classique.

En Belgique, mouvement ouvrier chrétien et mouvement socialiste sont les deux piliers historiques des associations, puis après la montée des écologistes un nouveau pilier s’est créé qui critique les anciens piliers, "vendus au diable". Par ailleurs, les associations vivent dans un Etat fédéral qui possède les pouvoirs régaliens et les entités fédérales gèrent la culture, la santé, l’économie régionale… Les communautés ne se parlent pas, n’échangent pas, c’est comme des sociétés en parallèle avec le gouvernement fédéral qui fait trait d’union. L’État social et devenu un État social actif c’est à dire qu’il demande toujours plus de procédures, résultats, évaluations. De ce fait une question se pose : Est-ce que l'association reste un espace d'invention, de création ou un service d’État délégué ?

Le Collectif 21 veut pouvoir porter cette question dans la tête des gens, d'abord chez les travailleurs des associations, aujourd'hui leur formation politique est moins constituante qu'avant, aujourd'hui il faut repolitiser la question associative.
  • D'où un documentaire avec des hypothèses d'évolution sur le monde asso (dont la projection est prévue à l’université d’été du CAC -5 au 7 juillet à Lille- et à l'AG du 20 mai) +
  • La sortie d’un livre est également prévue pour le mois de mai 2022 qui reprend l'essence de nos échanges.
En terme de stratégie, nous avons deux ambitions, nos élections ont lieu en 2024, nous voulons remettre la question associative dans les programmes des partis, il faut discuter avec les partis, nous allons donc à leur rencontre.
Nous voulons aussi mettre la question associative dans la tête des travailleurs des assos mais aussi les travailleurs sociaux avec notre film et notre livre pour les sensibiliser.
L’association a à voir avec la question démocratique, l'économie et la politique sociale. L'association est nécessaire à la vitalité démocratique, l'association produit du débat, de l'arbitrage, de la nuance... et de l'économie.

En Belgique, la subvention (acquise) de l'éducation permanente est un positionnement politique qui dit globalement : on vous donne du pognon, critiquez-nous et on continuera à vous donner du pognon. L’État est ok pour ça, pour soutenir critiques et alternatives !

Côté social, l'association s'occupe des zones grises, elle va là où les autorités publiques ne traitent pas. D'où l'importance des libertés associatives pour pouvoir répondre à ces besoins, tâtonner, créer même se planter mais il faut pouvoir le faire.
Côté économique, les associations ne représentent pas uniquement un coût mais aussi produisent de la richesse.

Actuellement l'Emploi évolue plus dans le non marchand que dans le secteur marchand.
Et s’il y a régulièrement des négociations pour diminuer les cotisations sociales, nous avons demandé que cet argent (qui n’est plus demandé) aille dans un fonds pour le redistribuer au secteur associatif > cette diminution, la partie en moins, on la flèche pour recréer de l'emploi (donc l'employeur associatif paye pareil qu’avant les baisses et la partie restante va dans le fonds).

Nous sommes aussi des agents économiques qui apportent beaucoup à la société.

Intervention de Laure Paradis Vox Public, L.A. Coalition (LAC) pour les Libertés Associatives

LAC est une coalition d’associations françaises qui a vu le jour en 2018 et rassemble une vingtaine d’associations qui travaillent sur des thématiques très différentes. Il y a plusieurs membres très actifs dans la salle dont le CAC, mais aussi le CRID, RITIMO… Ces associations se sont rassemblées sur cette question des libertés associatives et de leur répression. En s’entendant déjà sur le fait que quand on parle de libertés associatives c’est pas juste l’idée de pouvoir créer et participer à une association. C’est aussi tout ce qui permet à une association d’exercer ses activités, avoir des subventions, avoir accès à des locaux, de pouvoir organiser des manifestations, un événement, tout ce qui permet à une association d’exercer pleinement ses activités…

A sa naissance, LAC a constaté qu’il y avait une multitude d’exemples dans l’ensemble du territoire d’associations qui étaient réprimées par les pouvoirs publics qu’ils soient locaux, ou nationaux, avec des attaques aussi qui étaient très variées dans leur nature, dans leur intensité. LAC est vraiment dédiée à l’observation de ces atteintes aux libertés associatives, à documenter ce phénomène de répression. Ce travail collectif a amené à faire une typologie des attaques pour les essayer de les classifier et mieux les comprendre.

Je rappelle les 4 grandes catégories. Les attaques d’ordre réputationnel, c’est typiquement quand des personnes, ou des pouvoirs publics vont faire des déclarations contre une association dans les médias, souvent infondées évidemment. Il y a aussi celles de nature plus administratives et matérielles en empêchant les associations d’avoir accès à des locaux par exemple, il y a de nombreux exemples ou des associations se sont vues retirer le droit d’accès à des locaux publics qui leurs sont interdits pour tenir leurs permanences, leurs réunions… Il y a bien sûr les associations qui subissent des attaques financières avec le phénomène des « coupes sanction ». On pense par exemple au Genepi, où il y avait écrit dans le courrier du ministère qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit, ce qui a le mérite d’être très clair ! Et le dernier type d’attaque qui constitue cette typologie, les attaques de type policière avec à la fois des exemples de perquisitions, des verbalisations massives, des interpellations de militants des associations.

Cette typologie a permis à LAC de sortir un premier rapport de l’Observatoire des Libertés Associatives (OLA), qui a recensé 100 cas de répression des associations entre 2010 et 2020, sur l’ensemble du territoire français. Et l’idée derrière cet observatoire et cette documentation, c’était de coconstruire avec tous les membres de LAC des recommandations qu’on aurait aimé diffuser très largement, partager avec plein d’associations sur tout le territoire, pour un repérage très large, et qu’on puisse les défendre. Une des recommandations était de reconnaître le rôle critique des associations. C’était en 2020, on a présenté ce rapport, et on a commencé un travail de plaidoyer sur les recommandations et revendications.

Mais en 2021 on s’est trouvé face au projet de loi sur les principes de la République. Ça a amené LAC a changer de posture puisqu’on était dans une démarche vraiment proactive, de proposition, de revendication, pour mieux défendre les libertés associatives, et aider les associations à riposter et se défendre collectivement face aux attaques. Du coup LAC se retrouve avec le démarrage de débats sur cette loi dans une position extrêmement défensive. C’était vraiment un énorme coup de massue, cette loi « séparatisme ». LAC a été hyper mobilisée avec tout un travail de sensibilisation sur la loi séparatisme et le Contrat d’Engagement Républicain (CER), tout un travail de communication notamment en visio qu’on a pu proposer pour essayer de décrypter cette loi et essayer de faire front commun, ne pas rester seul. Il y a eu aussi un travail massif de plaidoyer en étroite collaboration avec le Mouvement Assciatif (LMA) pour essayer de faire reculer sur plusieurs points le gouvernement et protéger les libertés associatives. On a le souvenir, avec Jean-Baptiste, d’un fameux rendez-vous avec la directrice adjointe du cabinet de Sarah El Hairy… un moment «super chaleureux comme vous pouvez imaginer… Bien entendu, ce travail de plaidoyer qui a été très intensif, n’a pas payé. LAC a coécrit en grande partie et a cosigné avec LMA une contribution extérieure qui a été envoyée au conseil constitutionnel lorsqu’il a été saisi par les parlementaires pour examiner la loi juste avant sa communication. Tout cela n’a pas été fructueux et on a eu comme cadeau de bonne année le 1er janvier 2022 le décret d’application du Contrat d’Engagement Républicain. Voilà pour l’histoire de LAC, ce qui ne remet pas du tout en cause les différents outils qui ont pu être produits depuis 2019, par exemple le guide de riposte avec des conseils de méthodologies et de pratiques, comment faire quand une association est attaquée, aussi bien sur la communication, sur la création d’alliances… tout cela reste utilisable et on espère pertinent… Aujourd’hui LAC et ses membres reste extrêmement préoccupée par les suites de cette loi séparatisme, avec l’extension des motifs de dissolution et l’application du CER. On documentera tout ça.

Le dernier rapport de l’Observatoire des Libertés Associatives sorti en février 2022, donne un peu une image de ce que pourraient être des sanctions abusives qui vont découler des dispositions de la loi « séparatisme » puisque en fait cette loi, en terme de LA, ne vient que légaliser des pratiques qui avaient déjà court. Cette loi vient donner un cadre légal que le gouvernement pourra utiliser.


Intervention de Jean-Baptiste Jobard – Collectif des Associations Citoyennes

L’idée est d’arriver à se projeter pour la suite, étant actuellement dans une année un peu charnière. Et se resituer dans une perspective historique, pour le CAC créé en 2011. Dans nos premières années on était vraiment dans la lutte contre la marchandisation et on n’était pas sur la répression de l’action associative. Cette question est extrêmement présente maintenant, tellement présente qu’on a du mal à voir que c’est finalement récent. Pour nous au CAC la charnière c’est 2018. C’est en même temps la suppression de 260.000 emplois aidés et en Ile-de-France la charte Pécresse, un gros défi qui nous attend au niveau national, et qui va engendrer une mobilisation à laquelle on a beaucoup participé sur la région parisienne. Ce qui est frappant, c’est de voir que pour éteindre la contestation qui est née de la suppression des emplois aidés le gouvernement a lancé une grande consultation nationale qui a accouché de 59 mesures lesquelles ont accouché 9 mois plus tard de 12 propositions du gouvernement. Sur ces 59 mesures, il n’y en avait que 2 sur les libertés associatives et si on refaisait la consultation nationale maintenant il y en aurait beaucoup plus parce que cette question est maintenant sur le devant de la scène. Il y en avait une sur les procès bâillons et une hyper généraliste. C’est sur cette base là que la coalition se crée et elle se crée sur un financement privé. C’est une réponse à un appel à projet d’un consortium de fondations européennes qui en 2019 permet la 1ere année de la coalition en France mais aussi dans un ensemble d’autres pays européens. La Belgique n’y est pas, mais en Hongrie, en Italie, en Pologne, il y a des coalitions qui depuis 4 ans travaillent sur cette même question. Et la situation n’a cessé d’empirer. 2020 est vraiment une année noire avec le projet de Loi que Laure a mentionné, 2021 c’est encore pire et là on se retrouve en 2022 avec un enjeu crucial, c’est la dernière année de financement, et on est en train de se projeter dans une transition vers la suite. Il nous faut réussir à résoudre cette équation : on a moins de moyens mais on a plus de besoins. Donc comment se réinvestir ? c’est un travail en cours, mais déjà ce qui se dessine c’est de consolider disons sur 2 ans, de savoir et agir. Savoir c’est la capacité à jouer le rôle de vigie, c’est à dire centraliser les informations et notamment de terrain qui peuvent remonter, donc être plus efficace notamment sur l’observatoire. Et la deuxième perspective, et on n’a pas pu encore le faire, c’est pouvoir proposer un accompagnement des associations attaquées. On propose une série d’outils mais on voit bien que c’est insuffisant. Ce qui est devant nous c’est pouvoir proposer un accompagnement différencié qui peut aller de la mise à disposition d’avocat à des fois juste un rendez-vous téléphonique. Ça repose aussi sur une capacité de pouvoir élargir à la base les parties prenantes de LAC et faire en sorte que à partir de 2023 on soit une coalition qui crée un système d’autodéfense du monde associatif contre les attaques dont il est victime, beaucoup plus efficace en créant des liens par exemple avec « on ne se taira pas » qui est spécialisé sur les procès bâillons, ou sur le projet présenté hier par Sciences Citoyennes et Remix The Common, l’utilisation du droit dans les actions et les luttes associatives. L’enjeu est donc d’arriver à se projeter et voir comment dans nos structures respectives et dans les liens qu’on entretient ensemble dans les mois et les années qui arrivent on va pouvoir être plus forts et plus efficaces sur ce sujet.
Dans une période où la configuration électorale risque d’être soit extrêmement prégnante soit tragiquement prégnante.