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Première rencontre à Bercy suite à ce courrier


Notes de la rencontre avec les cabinets de Mme PINVILLE et M. SAPIN le lundi 11 juillet 2016 à Bercy

Présents :
Pour le cabinet de Martine PINVILLE (Secrétaire d’Etat -auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique- chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Economie sociale et solidaire) : Eric DUPAS-LAIGO (conseiller chargé de l'économie sociale et solidaire et de la transmission des TPE) et Nadège BUQUET ‎(conseillère en charge de l'économie sociale et solidaire)
Pour le cabinet de Michel SAPIN (MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS) : Florian GUYOT (conseiller micro-économie et politiques publiques) et Mathieu VANICATTE (conseiller financement de l'économie).
Pour le CAC : Jean-Claude BOUAL (président), Gabrielle GARRIGUE (Avenir Educs), Sylvère CALA (Avenir Educs), Eric DENOYELLE (Collectif pour une éthique en travail social), Isabelle BOYER (coordinatrice).


Contexte : Suite à notre courrier d’interpellation sur l’arrivée des Contrats à Impact Social (« CIS » qui, sont une déclinaison à la française des SIB-social impact bonds-) et de ses dangers et coût (Cf. à la fin), le cabinet de M. SAPIN a contacté le CAC pour proposer un rdv puis le cabinet de Mme PINVILL E (à la demande de M. MACRON dont le cabinet nous a adressé un courrier nous informant de la prise de contact) aussi et nous avons proposé un rdv commun.

Notes Isa à compléter/corriger : (texte en rouge qd mes notes étaient partielles "??" : j’ai donc soit supposé soit laissé à compléter)

Après un tour de table, Jean-Claude précise que les Contrats à Impact Social sont bien plus qu’une question de financement et que notre réflexion s’appuis sur l’étude de tous les SIB développés dans le monde (Royaume-Uni > Peterborough, Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande, Belgique… cf la base de données d’Instiglio « social finance » ). Les rapports du HCVA et de l’OCDE ayant aussi émis de sérieuses réserves sur ces contrats. La littérature du MOUVES ou de l’Institut de l’entreprise ne sont pas des arguments suffisants…
Ces CIS rappellent les partenariats publics privés (PPP) -dont le Sénat dans un rapport du 16 juillet 2014, a souligné les dérives- et où en dernier ressort c’est bien la puissance publique qui paye.
On assiste là à la destruction du tissu associatif et donc a l’affaiblissement de la cohésion social dans une période où cela constitue un des derniers remparts à la montée du Front national. C’est une segmentation de la société et du secteur associatif.
Ces CIS posent aussi un problème d’éthique et du sens du travail social (Cf l’exemple de la Sauvegarde du Nord) au-delà même des coûts de rémunération des intermédiaires.
L’économie faisant partie de la société, ce qu’on y fait impact la société toute entière.
L’impression qui ressort au regard des 4 exemples donnés lors du lancement des CIS, c’est que le but de ces actions est le « business ».
Eric ajoute que ces exemples de CIS posent plusieurs questions quand aux enjeux annoncés dans cet appel à projet :
- celle de la limite dans le temps,
- d’une « vraie » innovation
- le fait de constituer une vraie avancée sociale > là c’est un point très important, car certains biais peuvent être dangereux pour les individus
Si on lit l’étude de terrain de la Sauvegarde du Nord
- le calcul du coût d’un placement est faussé : un enfant n’est pas forcément placé en foyer, il existe d’autres solutions / on n’y parle que d’’un placement « définitif » alors qu’en fait c’est rarement le cas
- on y voit une action rapide et renforcée d’une « brigade d’éducateurs » qui vont éviter le placement (et ses coûts) alors qu’un accompagnement des familles demande du temps,
- Où est l’innovation ? Ce travail d’accompagnement auprès de la famille prend le nom d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui existe et même de manière renforcée et pluridisciplinaire alors que la Sauvegarde n’envisage qu’une brigade d’éducateurs
- Ne pas oublier que le placement est un outil indispensable à la protection des enfants (ex. violences, inceste...) et de la famille elle-même, qui peut avoir besoin, à un moment donné, de passer le relais si elle est dépassée... faire des « économies » sur cet outil pose problème.

Gabrielle poursuit : ces CIS sont le symptôme d’une façon de faire qui interpelle :
1. Question de la délégation politique aux entreprises et secteurs financiers sur le « faire société ».
La politique doit rester l’outil des pouvoirs publics garants de l’éthique (Référence à des travaux québécois)
2. Attaque du pacte républicain : le fondement du travail social c’est de tendre vers plus d’égalité, ce qui n’est pas le but des entreprises ; le « WIN/WIN » on n’y croit pas…
Là le social est pensé à huis-clos par des gens formés au commerce !
Quand on a une réelle expérience du social, on ne peut que constater l’arrogance de ceux qui pensent le social sans les professionnels de ce secteur, c’est indigne. Les professionnels se coltinent la détresse des personnes, mais leur expérience n’est pas nécessaire …
Il est inadmissible de faire de l’argent sur le dos des enfants, de la misère, de la maltraitance… ; cela ne peut mener qu’à la violence !
Nous sommes inquiets du poids de personnes comme M. Borello, il est nécessaire de revenir au sens des choses.
Pour ces raisons nous sommes contents d’être reçu ce jour.
F. Guyot : veut toujours de la cohésion et respect ce que nous faisons et pensons.
Jean-Claude : nous ne venons pas en ennemis, et même si vous voulez de la cohésion ces propositions sont déconnectées de la réalité. Nous voulons vous alerter pour ne pas courir au pire.
E. Dupas-Laigo : le gouvernement a associé la société civile à la création de la loi ESS qui a permit la reconnaissance de dispositifs (comme la subvention) décorrélés des marchés publics. En parallèle il a renforcé les moyens financiers de l’ESS (qui passaient par les banques, les assurances vie…) notamment avec les fonds d’épargne salariaux ( ??). Y sont également développé des dispositifs sur l’investissement à plus long terme et l’innovation sociale… ???? plus un amorcement avec le financement de projets (avec les CIS) et non de fonctionnement.
Les 4 exemples cités sont juste un bout des CIS, avec des projets en réflexion depuis longtemps ( ??)
Le rapport de l’OCDE dit que c’est bien pour les activités nouvelles et innovantes mais que le montage est risqué, mais c’est le secteur financier qui prend ces risques. Bien si les activités ne sont ni financées par le marché ni par le secteur public (entièrement).
L’appel à projet est bien limité dans le temps, il permet d’avoir des dépenses en fonction de résultats posés à l’avance, ça repose sur un contrat d’objectifs : si ce contrat est atteint le secteur public rembourse le secteur privé ; sinon le secteur privé paye.
Le comité de sélection analyse les éléments des projets avec des réponses sur : l’innovation, le caractère ambitieux, les difficultés à financer.
Les CIS ne sont pas les SIB, ils n’ont pas comme critère de baisser les coûts, même si la Sauvegarde du Nord et les autres exemples ont fait leur « marchandising » dessus, ce n’est pas but.
Ce n’est pas dans la culture française de dire « une personne coûte tant » et donc on va baisser le coût, les CIS veulent juste mettre une évaluation « à priori ».
Eric : nous avons compris la doxa bien dite, mais l’exemple de Simplon.co sur la remise au travail par des formations courtes dans l’informatique de publics fragilisés ne tient pas compte des besoins réels des personnes qui ne sont pas que sur des compétences et savoir-faire professionnels ; les entreprises d’insertion proposent, elles, un double accompagnement : professionnel et personnel. Un tel projet, en en tenant pas compte des besoins réels, apporte une régression sur les acquis des secteurs de l’insertion !
E. Dupas-Laigo : dans le comité de sélection des CIS, les services de l’Etat sont là pour proposer des améliorations qualitatives sur les propositions faites ; dans ce cas d’accompagnement à l’emploi, il est important de se donner les moyens de vérifier après l’insertion réelle (2 à 3 ans après) avec des critères qui sont à définir (emploi ? Niveau de vie ??).
Gabrielle : l’exemple de la Sauvegarde du Nord a fait beaucoup « sourire » (avec amertume) les travailleurs sociaux : où est l’innovation hormis le montage financier ? L’AEMO renforcé existe depuis 1997 dans le Val d’Oise (où il a été un dispositif « innovant » alors) ; de plus le placement est important quand l’enfant est pris dans un conflit de loyauté trop grand pour lui. Le choix de cet exemple constitue une grande maladresse politique !
Jean-Claude : le MOUVES et l’institut de l’entreprise ont pesé sur ces choix
F. Guyot : l’Institut de l’entreprise n’est pas la référence
Sylvère : quand vous dite « si le projet ne marche pas », cela signifie quoi ? On est là dans le secteur social… quel est le « coût » social ?
E. Dupas-Laigo : que les objectifs assignés à cette action ne sont pas atteints ; cela n’implique pas un « échec »pour autant, juste que les objectifs ne sont pas atteints.
La compétence métier des projets est vérifiée par le ministère du travail social qui fait parti du comité ; l’instruction est menée par l’Etat, vous n’avez vu que la présentation simplifiée des projets, mais les projets constituent des dossiers de 50 pages que seul l’Etat connait et que vous n’avez pas put lire.
Gabrielle : nous avons beaucoup lu et vu sur ces projets, entendu des conférences… la protection de l’enfance est « régalienne » hors quand on interroge la direction de la cohésion sociale (l’intersyndicale, Avenir duc et la CATS ont rencontrés le 20/06/16 les cabinets de Mesdames Neuville et Touraine) on nous dit que les « CIS » sont rapatriés à Bercy !!
N. Buquet : l’appel à projet a été lancé le 15 mars 2016 et au 30 juin nous avons retenu des dossiers à co-monter dans un processus itératif, nous allons travailler ensemble sur les territoires et méthodes recommandées. Pour construire un CIS il y a des échanges, des conseils… un grand sérieux pour construire une expertise métier (rdv la semaine passée avec les 2 cabinets : celui de Neuville et et Touraine).
Eric : quand le G8 est présent en ligne de fond en termes d’idéologie, cela vient contrarier la réalité - ces 4 exemples n’ont pas de marge dans le temps (pour être évalués).
E. Dupas-Laigo : en Angleterre on cherche à montrer la supériorité du privé sur le public, ce n’est pas le cas en France, nous n’avons pas la même philosophie !
Eric : les exemples donnés ne sont pas innovants, ils sont même régressifs.
Dans le rapport d’Hughes Sibille, on va vers un délitement du tissu associatif, et on promeut le développement de cela avec des financeurs qui ont un poids encore plus importants !
La société sera tellement conditionnée qu’on ne verra plus émerger les besoins sociaux, c’est un changement de paradigme.
F. Guyot : à chaque opérateur des exemples cités, correspond bien une « association » qui porte le projet ? Mécaniquement, car ils travaillent déjà sur le terrain, ils ont une expérience.
Jean-Claude : il existe des faux-nez parmi les associations, qui ne sont là que pour faire du business en utilisant le statut associatif (SOS, la Sauvegarde du Nord…) il est important de voir leur réelle politique !
F. Guyot : ne parle-t-on ici que d’un projet : la Sauvegarde du Nord ? ou d’un processus ?
Jean-Claude : dans l’émission de France Culture à laquelle nous avons participé (émission Du grain à moudre sur France Culture : Les associations doivent-elles être rentables ? le 20/05/15) il était très clair que les cabinets d’audit y voit un véritable marché. Dans un an que va-t-il se passer ? Nous n’aurons pas toutes les données pour évaluer ces projets « expérimentaux »
E. Dupas-Laigo : l’expérience est lancée sur 10 pays au niveau communautaire, et tous ne sont pas sur le même modèle, nous avons besoin d’expériences concrètes.
Il ne faut pas se fier à la communication grand public des 4 projets résumé en 1 page, ce sont juste les illustrations d’une communication simplifiante.
Jean-Claude : il est alors nécessaire de prendre au moins de bons exemples ! La direction générale de la cohésion sociale ne les a pas réfutés…
N. Buquet : le comité comporte des spécialistes, on peut donc s’y remettre, il veille à la complémentarité des projets, on n’est pas dans la concurrence.
Les projets sont vus au cas par cas avec les cabinets experts dans le domaine concerné par le projet (éducation, insertion, …) qui sont garant de la pertinence.
F. Guyot : du point de vu du ministère des finances, on voit le secteur de l’ESS très actif et demandeurs de nouveaux canaux financiers, ces CIS sont donc une réponse.
Eric : l’ESS n’est pas unitaire, il comporte une ligne de fracture, comme dans les classes sociales, il existe des visions différentiées.
On y voit des nouveaux convertis (plus fondés sur des critères de rationalités, gouvernance…) qui sont parfois des acteurs dominants car ils ont la taille et l’écoute des puissants et qui ne sont pas forcément les plus représentatifs de l’ESS.
Nous ne sommes pas convaincus sur l’aspect « innovation sociale »
Gabrielle : si on sort de ces 4 projets, la question plus générale est celle de la place des bénévoles ?
Au-delà de l’aspect communication qui séduit, comment est-ce possible de dissocier à ce point ceux qui portent l’avenir du travail social de ceux qui le connaissent et le portent depuis des années ?
F. Guyot : sur la question des bénévoles, on valorise leur engagement au travers du « compte engagement citoyen » (mis en place dans la Loi travail).
Gabrielle : ce dont on parle là c’est de se faire de l’argent sur les bénévoles, surtout !
F. Guyot : le lien est trop rapide entre bénévole qui travaille et banque qui se rémunère.
Jean-Claude : d’accord sur des solutions telles que l’utilisation de fonds orphelins ( ??) mais là nous savons que Goldman Sachs est dans le coup également
F. Guyot : le logement social en France est bien financé par des placements générés par des prêts rémunérés ??… c’est bien plus flou dans la réalité !! Il n’y a pas d’un côté le bien = le travail social et de l’autre le mal = l’argent.
Jean-Claude : on ne peut ignorer le rôle des organismes financiers tels que Goldman Sachs dans la crise grecque.
Nous avons des doutes sur les projets mis en avant, sur l’évaluation et la capacité d’évaluation des cabinets d’Audit, n’oublions pas que KPMG (cabinet d'audit, de conseil et d’expertise comptable) est présent et que leur magouilles avec la FIFA est reconnut.
E. Dupas-Laigo : on donne de la légitimité aux financements sociaux pour permettre une amélioration sociale avec un rendement financier faible (l’objectif rejoint celui de l’épargne salarial) - les différents ministères mobilisent leur compétences métiers.
 vous qui travaillez sur les projets des autres, du fait de votre connaissance vous devriez nous faire des propositions de projets
Gabrielle : sur le principe d’égalité, la meilleure chose à faire est que les entreprises payent leurs impôts à l’Etat qui lui décide de la répartition.
N’oublions pas que les travailleurs sociaux ne cessent d’innover au quotidien.
Sylvère : nous les travailleurs de terrain, ne nous sommes pas du tout senti écoutés (en parallèle, il y a la réforme des métiers du social pour laquelle ont été demandé l’avis de « certains » que pensait compétents sans que ce soit forcément la réalité).
On les mets là en concurrence au lieu d’être partenaire. Ce dispositif n’est pas adapté au travail de terrain (comme dans l’hébergement).
Jean-Claude : Il a y beaucoup d’exemples où le passage de la subvention à l’appel à projet, voir appel d’offre, a été une catastrophe (exemple à la Goutte d’or -75018).
Nous ne croyons pas à la philanthropie de certains…
Eric : de manière connexe, sur le sujet des bénévoles, beaucoup de clubs de prévention ont fermés faute de soutien public, mais parallèlement les pouvoir publics aident le soutien scolaire des bénévoles : on voit bien qu’une action ponctuelle (si elle est utile) n’a pas le même sens, pas même savoir-faire surtout si elle est déconnecté du reste. Les deux sont nécessaires, l’une ne remplace pas l’autre.
Craint que les CIS soient le paravent ciblé (chiffrable, mesurable) et qu’à côté on baisse tout le reste !
N. Buquet : il existe une dimension sensible et nouvelle de l’ESS et on y voit des acteurs très différents, nous seront vigilants pour rester dans les principes théoriques.
F. Guyot : propose de se revoir dans l’année pour parler des CIS
Jean-Claude : il faut faire attention que le changement de SIB en CIS ne soit pas juste un changement de sémantique.

En résumé : le cabinet de Mme Pinville dit que l’objectif des CIS n’est pas de faire des économies dans le domaine social, ce n’est pas la culture française, (même si toute la littérature autour contredit cela y compris les 4 projets mis en avant).
Il se veut rassurant sur le cadre et le comité des CIS qui consulte les ministères qui ont les compétences métiers et vont faire des propositions/améliorations aux projets qu’ils vont accompagner.
Pas de réponse sur les coûts supplémentaires des intermédiaires, juste une précision sur le « rendement financier faible».
Ces CIS sont une réponse à la demande d’acteurs « actifs » de l’ESS qui veulent de nouveaux canaux financiers.
Globalement (de mon point de vue) l’ambiance était à l’écoute sans position méprisante, nos arguments ont été entendus (pas forcément compris) et la conclusion a ouvert sur la proposition de continuer la discussion. Nos arguments serviront au moins à affiner leur communication sur le sujet !